mardi 25 novembre 2008

Audiovisuel public : Quand le pouvoir fait écran à l'indépendance


Les radios et télévisions étatiques éprouvent des difficultés à s'émanciper de leur tutelle.
Du 9 au 12 novembre dernier, le Conseil international des radios-télévisions d'expression française (Cirtef) et l'Organisation internationale de la Francophonie (Oif) ont, à l'occasion d'une session de formation organisée à Yaoundé, ouvert le débat sur les enjeux et les défis d'une nouvelle gouvernance des médias publics. Doit-on galvauder ses missions de service public au profit de l'audimat? Comment respecter le cahier des charges d'un service public et, en même temps, concurrencer les chaînes privées? Chacune de ces questions, et bien d'autres, a fait l'objet d'échanges d'avis, d'expériences, de prises de positions tout au long des quatre jours de travaux.

Hervé Bourges, ancien président de Rfi, Tf1, France Télévisions, ancien président du Conseil supérieur de l'audiovisuel de en France (Csa) et de l'Union internationale de la presse francophone (Uipf), a planté le décor. "Les nouveaux médias sont à l'image des sociétés contemporaines qu'ils reflètent : contrastés, dialogiques, à la fois ouverts au débat et imposant le débat. Il n' y a plus de place pour un discours univoque, ni de la part d'un homme, ni de la part d'une nation. Il faut savoir intégrer la contradiction comme une méthode pour accéder à la vérité. Cela s'appelle la tolérance, et c'est en ce sens que les nouveaux médias font indéniablement progresser la démocratie, partout dans le monde", a-t-il dit aux quarante quatre structures de radios et télévisions francophones conviées aux travaux de Yaoundé. Avant de se prononcer sur la nécessaire indépendance des médias publics. Une préoccupation qui allait dans le sens des aspirations des participants.

Amadou Vamoulke, le directeur général de la Crtv, hôte de la session de formation est formel : "L'audiovisuel public est en position d'équilibre instable entre la majorité gouvernante et une opposition vindicative. Comment, par exemple, rendre compte des revendications sociales sans s'attirer l'animosité du patronat, ou sur un terrain, relayer la passion du football sans accentuer le complexe de marginalité des autres disciplines sportives? A cette toile de fond qui recouvre un embarras quotidien s'est greffée une concurrence féroce aux plans aussi bien de l'offre d'informations, des programmes que des recettes publicitaires de plus en plus incertaines", s'interroge-t-il. Interrogation d'autant plus légitime que la Crtv est sous le joug systématique du monde politique qui a tendance à croire que la solution réside dans un contrôle plus étroit des responsables qui sont en charge de mettre en œuvre les orientations retenues.

A ce sujet, Jean Pierre Biyiti Bi Essam, le ministre de la Communication et président du conseil d'administration de ce média public a son idée : "les médias de service public doivent trouver un équilibre entre leurs missions, les attentes légitimes des audiences et la nécessité de concevoir une production standard de qualité" a-t-il souligné aux hauts responsables des télévisions publiques francophones réunis à Yaoundé pour discuter de l'avenir des chaînes publiques face aux défis de la modernité. Mais de manière générale, les télévisions publiques du Sud se plaignent d'être les otages des Etats qui leur imposent des programmes et des contenus en net déphasage avec les aspirations du public. Qui se rue alors vers les chaînes privées plus soucieuses de leur contenu. Le problème de fond, souligne Amadou Vamoulké, le directeur général de la Crtv, est de savoir si les télévisions publiques s'arrimeront aux défis et mutations actuels.

Mainmise
Pourtant, pour ce dernier, la question de l'indépendance des chaînes de télévision publique est secondaire. "La question essentielle, a-t-il encore dit, n'est pas celle de l'indépendance, mais celle de savoir si dans le cadre des mutations actuelles, les médias de service public peuvent résister (…) le service public restera toujours le service public. On a besoin d'une télévision de service public pour renforcer le lien social. Nous sommes une communauté nationale. Il y a un certain nombre de choses qui nous préoccupent ensemble et qui nous unissent. Il faut donc qu'il y ait un média qui fasse ce lien. A quelle condition ces médias peuvent-ils vivre ? C'est alors que la réponse de l'indépendance arrive. Ce n'est pas une indépendance absolue, mais une indépendance pratique, c'est-à-dire celle qui permet aux dirigeants d'avoir des coudées franches…", soutient-il.

Des propos corroborés par Michel Tjade Eone, qui a avoue que "les pouvoirs politiques, avec raison, se montrent rétifs à libéraliser complètement les ondes et le cordon ombilical les liant à ce secteur sensible n'est pas encore coupé. Le maintien de la mainmise de l'Etat sur l'audiovisuel se manifeste dans la majorité des pays africains par des procédés qui s'apparentent à des stratégies de camouflage destinées à leur éviter de perdre totalement le monopole de la parole publique". Une mainmise subtile qui n'échappe pas au Cirtef qui a déjà élaboré un livre blanc qui vise à "sensibiliser les gouvernants et décideurs à la nécessité d'accorder toute l'importance qu'il faut aux besoins des médias audiovisuels publics", confie Amadou Vamoulké.

Francky Bertrand Béné

http://www.quotidienmutations.info/mutations/nov08/1227612588.php

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