mardi 11 mai 2010

Mgr Joseph Befe Ateba* : Contribution de la presse dans la décolonisation au Cameroun sous-tutelle


Célébrer le cinquantenaire de notre indépendance est initiative obvie et heureuse. Car, depuis cinquante ans, il nous est arrivé à nous aussi d’être un pays de la communauté internationale. La fierté que l’on ressent alors renforce
en chacun la conscience de son identité et le devoir de participer à la construction d’une entité si belle et si merveilleuse : le Cameroun que le Saint Père a appelé « terre de promesses ».

Il m’a été demandé de parler du rôle de la presse pendant la période coloniale où le Cameroun était sous tutelle. Ce sujet revient, pour moi, à montrer que la presse a apporté, elle aussi, sa contribution à l’acquisition de l’indépendance dont nous jouissons depuis cinquante ans. Pour le montrer, permettez-moi d’abord de situer l’époque et le contexte sociopolitique. Avant cela, je voudrais refroidir tous ceux qui sont venus ici dans l’espoir d’entendre du neuf, d’en apprendre de moi. Il m’a été difficile de traiter ce sujet, et j’ai dû m’y mettre pour ne pas m’attirer les foudres de mon père qui, hier encore, me demandait avec une paternelle insistance de donner cet exposé. J’ai dû me contenter d’un désert documentaire et de quelques connaissances générales vite épuisées dans un sujet d’une envergure heuristique comme celui-ci. En outre, cet exposé porte en lui-même ses propres limites : la presse dont je parlerai ne regarde que la presse écrite. En outre, je m’excuse d’avance de ne traiter que de la presse au Cameroun oriental, donc francophone.

Le Cameroun sous-tutelle
Le terme « sous tutelle », à mon sens, renvoie clairement au 21 mai 1921 date où, après le Traité de Versailles dans lequel l’Allemagne s’est vu retirer ses colonies qui furent confiées à la Société des Nations (SDN). Mais, pour le sujet qui nous concerne, la période de bouillonnement politique véritable caractérisée par les luttes d’indépendance résultant de la prise de conscience politique des acteurs camerounais et la revendication claire de l’indépendance du Cameroun commence en 1948 -au lendemain d’une autre guerre mondiale et de la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU)-, plus précisément le 10 avril 1948, date de la création de l’UPC (Union des Populations du Cameroun). Cette branche camerounaise du RDA (Rassemblement démocratique africain) est un mouvement nationaliste pacifique au départ dont le programme politique a comme objectif principal l’indépendance du Cameroun. Pour cette formation politique, cette indépendance doit être immédiate. Elle inscrit aussi dans son programme la réunification des deux Cameroun. Ces objectifs transparaissent dans la popularisation de son programme sous la forme de ce slogan : « Réunification des deux Cameroun et indépendance immédiate ! »
Il faut noter en marge de notre thème que l’UPC, dès sa naissance, fait déjà montre d’un nationalisme lucide et complet, c'est-à-dire qui n’envisage pas la problématique camerounaise sous un seul angle comme pour ainsi dire « monophysite ». Mais elle élargit ses vues jusqu’à embrasser les deux Cameroun, anglophone et francophone.

La problématique politique du Cameroun est alors manichéenne : ceux qui souhaitent l’indépendance du Cameroun et ceux qui ne la souhaitent ou du moins veulent la différer. L’UPC s’inscrit dans l’histoire comme une force politique qui commence à agiter la revendication de l’indépendance du Cameroun sans ambages et entreprend d’amener le peuple à l’accepter à travers une propagande de conscientisation du peuple. Comme l’écrit Jean Paul Bayémi, 1955 « sera incontestablement l’année charnière de l’histoire du Cameroun » . p. 7.

Presse et politique
Dans ce contexte politique, la presse jouera son rôle de terrain d’expression et d’affrontement politique et reflètera les options ambiantes. Il y aura donc une presse nationaliste de tendance anti colonialiste et une presse opposée. 1955, pourquoi ? Parce que c’est l’année de la dissolution et du passage dans la clandestinité de l’UPC, une éclipse qui créa ce qu’on peut appeler un vide politique dans la mesure où cette formation était la principale force politique formellement regroupée, elle jouissait déjà d’une large assise sociale et d’une certaine adhésion auprès des populations. Même si elle ne faisait pas l’unanimité à cause de ses choix idéologiques, son idéal d’émancipation séduisait. Elle avait ses organes de presse : La voix du peuple du Cameroun, l’Etoile, Lumière, La Vérité… Cette floraison de titres upécistes démontre à souhait que ce mouvement politique entretenait déjà un lien phatique intense avec ses membres et ses sympathisants : il employait les médias pour disséminer ses idées politiques, informer et lutter. Comme on le sait très bien, la presse joue un très grand rôle dans la propagande politique et la formation de l’opinion.

Dans ce bouillonnement politique des années 1955, l’Eglise, sans avoir un rôle politique direct, participait néanmoins aux débats. Elle était intéressée par ces débats d’autant plus que toute la hiérarchie catholique était composée de ressortissants étrangers. Sans doute, avait-elle déjà fondé quelques titres au Cameroun comme Nleb Bekristen, La voix des Jeunes, de création récente, Belle Jeunesse, Au large (ces trois publications étaient liées aux mouvements d’action catholique), et Le Cameroun catholique, en plein essoufflement à cette époque, l’Eglise, disais-je, sentait le besoin d’exprimer ses idées à cette époque charnière où elle était consciente que l’histoire du Cameroun prenait un tournant décisif. Fallait-il créer un parti politique ? Le droit l’interdisant, l’option de la presse fut prise grâce aux conseils du Révérend Père Soras, S.J., qui, de passage au Cameroun et nourri de l’expérience Malgache de 1947, conseilla aux Evêques de lancer un journal. Ce n’est peut être pas inutile de rappeler que la même année, le 14 septembre 1955 plus précisément, des signes furent donnés par Rome qui pourraient être interprétés comme une prise de position diplomatique mais claire en faveur de l’émancipation du peuple Camerounais. Il s’agit de la création de trois diocèses : Douala, Doumé et Yaoundé. Deux mois plus tard, le 30 novembre 1955, Rome nommait pour la première fois un africain francophone Evêque, Mgr Paul Etoga…

Revenons à la presse. Le contexte politique effervescent des années 1955 était déjà marqué par le pluralisme de la presse, voire par ce que Daniel Anicet Noah appelle le babélisme. La plupart des opinions politiques de cette époque avaient, pour ainsi dire, le réflexe de se doter d’organes d’expression. C’est ainsi qu’on peut citer : Le Cameroun libre, animé par des Français libres du Cameroun et dont les articles ridiculisaient et infantilisaient les prétentions des revendications nationalistes. Ces Français libres trouvaient absurde l’option de l’indépendance et fondaient en général leur argumentaire sur l’immaturité des acteurs politiques camerounais et la précocité d’une telle issue. On trouvait aussi proche de cette même option La presse du Cameroun dont l’éditeur s’appelait Coulouma à qui nous devons une des grandes et fameuses imprimeries de Yaoundé d’une certaine époque.

Entre les nationalistes purs et durs et les anti nationalistes purs et durs est apparue une presse modérée qui reflétait les positions de ses animateurs. On peut retenir dans ce cadre le titre L’Action nationale, mouvement du même nom créé par Paul Soppo Priso.
L’exploration historique de cette période nous renseigne que le pluralisme médiatique n’est pas une nouveauté au Cameroun. Il est ancien et a toujours existé au Cameroun. Pendant l’époque coloniale, notamment dans la période de 1955 à 1960, la presse a participé à la revendication de l’indépendance et a servi à répandre les idées des nationalistes, en l’occurrence. Elle a soutenu leur lutte politique. Le combat politique était aussi la guerre politique ; les acteurs politiques de cette époque ont transporté dans les médias leur combat et s’affrontaient, outre les autres arènes, là aussi. Les politiciens ont compris très vite que le combat, la campagne politiques ne se mènent pas sans la presse.

Il convient peut être de citer un titre paraissant en langue vernaculaire (comme on disait à l’époque), mais qui est déjà symptomatique. Il s’agit de Abolegé qui, en Ewondo signifie, que ça saute ! Au plus fort des batailles et des joutes de la revendication indépendantiste et des revendications d’une identité nègre et camerounaise, il a servi d’organe d’expression. Ce fut notamment le cas lors des péripéties opposant Mgr Grafin à ses ouailles.

A l’approche de 1960
Au fur et à mesure que l’on se rapprochait de 1960, pendant que les politiciens en vue de cette époque et la France s’affrontaient, que l’Organisation des Nations Unies coordonnait le débat politique dans ce territoire sous-tutelle, la presse résonnait également des combats, des espoirs et des développements de l’actualité. L’UPC forcée à la clandestinité céda la scène publique aux formations comme l’UC (l’Union camerounaise) d’Ahmadou Ahidjo, le PDC (le Parti des Démocrates) d’André-Marie Mbida dont chacun avait un journal où exprimer ses idées et son programme politiques. La propagande politique était alors à la mode et relevait d’une méthodologie politique répandue. Ce choc dans la presse a donné assez la température des enjeux politiques pour arriver au 1er janvier 1960.

En conclusion, nous avons voulu montrer que si le Cameroun est indépendant aujourd’hui, la presse a joué un rôle important. Elle a participé et a accompagné le mouvement de décolonisation. De 1955 à 1960, la presse a été une des arènes où se sont affrontées les forces sociopolitiques au Cameroun. Elle reflétait toutes les tendances socio politiques de cette époque, mais, la victoire du nationalisme camerounais, l’expression courageuse de ses opinions, la diffusion de ses idées et de son programme ont été assurées par la presse aussi.

Je vous remercie.